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Le regard de Claude Samuel
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Le regard de Claude Samuel
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3 mai 2010

Et le centenaire de Lénine ?

Sur le front des compétitions musicales, la nouvelle fait l’effet d’une bombe : à partir de sa prochaine édition, qui se déroulera à Moscou du 2 juin au 14 juillet 2011, le Concours Tchaïkowski obéira aux règles les plus exigeantes de la transparence et de l’honnêteté. C’est Valery Gergiev, directeur du Théâtre Mariinsky, chef principal de l’Orchestre Symphonique de Londres et président de la manifestation moscovite qui l’a promis. Il y aura du chemin à parcourir, des mauvaises habitudes à perdre pour une compétition qui, plus que d’autres, a toujours excité la fibre nationaliste. On se souvient de l’émotion, suscitée en pleine guerre froide par le premier prix décerné à l’Américain Van Cliburn, réponse dit-on alors, au récent succès du Spoutnik soviétique. Les Russes furent scandalisés, et les Américains firent défiler le lauréat sur la Cinquième Avenue… En France, les lauréats français des concours internationaux ne défilent jamais sur les Champs-Elysées ; faut-il s’en réjouir au nom de la tolérance, ou le déplorer en réaction jalouse face aux vainqueurs de la coupe du monde de football ?

A propos de ce nationalisme ravageur, dont les plus grands artistes soviétiques ont également fait parfois preuve dans les jurys internationaux, je ne résiste pas au plaisir de vous rappeler la brillante intervention de Rostropovitch, qui avait obtenu que le violoncelle, aux côtés du piano et du violon, devienne une des disciplines du Concours Tchaïkowski. C’était en 1970, quelques mois avant l’ouverture de la manifestation. Mme Fursteva, ministre de la culture, convoqua dans son bureau Emil Guillels, David Oïstrakh et Rostropovitch et leur déclara : « Vous comprenez bien que, cette année, il est hors de question que le lauréat du Concours Tchaïkowsky ne soit pas russe. « Et pourquoi ? demanda innocemment notre ami Slava ; y a-t-il une raison particulière ? » « Comment, répliqua la ministre, avez-vous oublié que nous célébrons cette année le centenaire de la naissance du camarade Lénine ? » Rostropovitch : « En ce cas, pourquoi ne pas repousser le concours d’une année, afin d’en garantir son honnêteté ? » La chronique rapporte que Mme Fursteva le foudroya du regard, qu’Oïstrakh et Guillels eurent quelque mal à dissimuler leurs sourires. C’était le temps où Rostropovitch pensait que tout lui était permis ; l’histoire lui prouvera bientôt le contraire.

 

Trois oranges à l’heure américaine

Les émissions musicales sont trop rares sur les chaînes (publiques et privées) de la télévision pour ne pas marquer d’une pierre blanche la diffusion, lundi dernier, sur Arte du « Journal inachevé de Serge Prokofiev », documentaire, d’origine apparemment britannique, réalisé par Yosif Feyginberg en 2008. Ce Journal fragmentaire, dont Prokofiev interrompit la rédaction lors de son retour définitif en URSS, sert de fil rouge, pour ne pas dire de prétexte, aux péripéties de la relation d’une vie, ballottée, plus que d’autres, par les soubresauts de l’époque, mais dont la composition fut l’obsession permanente - à tel point que, quelques mois avant sa mort et comme pour défier le destin, Prokofiev dicta à sa seconde épouse les prochains titres de son catalogue, de l’opus 132 à l’opus 138, mais les dixième et onzième sonates pour piano ne verront jamais le jour, ni certain concerto pour deux pianos et orchestre à cordes destiné à Richter et à Vedernikov. Sa seconde épouse ? Oui, la poétesse Mira Mendelssohn, librettiste de l’opéra Guerre et Paix, qui était entrée dans la vie du compositeur au cours de l’été 1939 et à laquelle le film de Yosif Feyginberg ne fait nulle allusion. Evitons les sujets qui fâchent, car il aurait également fallu expliquer que Prokofiev se garda bien d’intervenir quand la police d’état expédia dans les geôles de Sibérie la première Madame Prokofiev, cantatrice de médiocre talent, rencontrée jadis à New York, épousée en Bavière, et délaissée en Russie. Prokofiev, dont le charme slave fit des ravages pendant sa période occidentale - et quelques superbes photos qui ponctuent le document d’Arte en témoignent – n’était pas un tendre...

Enfin, contrairement aux propos puisés dans le film précité, L’Amour des trois oranges ne fut pas démoli, au moment de sa création, par les critiques musicaux de Chicago, dont l’Opéra (alors dirigé par Mary Garden) avait passé commande, mais par ceux de New York, en rivalité avec les voisins de l’Illinois. Quant au retour au pays, pour lequel on a déjà donné mille explications (dont la présence de l’ami Stravinsky dont les succès occidentaux perturbaient le sommeil de Sergueï Sergueïévitch), il ne traduit pas, comme il est dit dans le film, le sort misérable que les Américains et les Français auraient réservé à l’un des grands compositeurs de ce temps, mais la nostalgie de la terre natale (plus près de nous, Rostropovitch tint à mourir en terre tsariste) et l’illusion que les maîtres du nouveau régime n’oseraient pas s’attaquer à un génie de la musique. Rostropovitch (voir ci-dessus) aussi l’imagina, jusqu’au jour où…… 

 

Le chant, comme passion

La mort de Jean-Pierre Angrémy, alias Pierre-Jean Rémy. Le premier était diplomate et, par ses fonctions successives, grand voyageur (Hong-Kong, Pékin, Londres, Florence, Rome) ; le second était écrivain, écrivain très prolifique, membre de l’Académie française. L’un et l’autre témoignèrent, chacun à sa façon, d’un formidable appétit à l’égard de la chose musicale. Le premier, dans ses deux derniers postes (directeur de la Ville Médicis à Rome, Président de la Bibliothèque Nationale de France), s’empressa, dès sa nomination, d’organiser des séries de concert. Le second introduisit quelques figures de musiciens dans ses romans, et se pencha plus particulièrement sur la diva des divas, une certaine Maria Callas, sur Berlioz également dont la vie ne peut qu’exciter la verve d’un écrivain. L’opéra était sa terre de prédilection, et il fut, d’ailleurs, en 1981, « chargé d’une étude pour la construction d’un opéra populaire », futur Opéra-Bastille ; il en parlait en expert, connaissant sur le bout du doigt les grandes distributions d’opéra à travers le monde. Son nirvana : Elisabeth Schwarzkopf dans Richard Strauss – il y a plus mauvais choix ! Nous en parlâmes souvent, l’été, dans sa demeure provençale et, toute l’année, pendant les entractes des représentations parisiennes. L’histoire ne dit pas s’il parvint à convaincre la grande famille des écrivains, et ses confrères académiciens, dans un pays où un homme cultivé se flatte davantage de connaître Van Gogh que d’écouter Debussy…

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Dans les archives du MET : le telex par lequel Rudolf Bing annonça à Maria Callas,
en novembre 1958, l’annulation de son contrat…< ;/p>

Consultez la chronique de Claude Samuel dans la revue Diapason d'avril « Ce jour-là : 30 décembre 1921 »

 

 

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