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Le regard de Claude Samuel
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Le regard de Claude Samuel
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19 avril 2010

Le Marseillais à la voix rocailleuse


barbizet_livreC’est un bien joli livre (publié aux Editions Jeanne Laffitte) que vient d’écrire Caline, Caline Barbizet, à la gloire du grand amour de sa vie, le pianiste Pierre Barbizet, croisé dans son adolescence, épousé trente-huit ans plus tard, un peu volage parfois car résistant mal au charme de ses jeunes élèves, mais ne lui avait-il pas dit un jour, et j’admire la franchise du souvenir : « Mais voyons, c’est sans importance tout ça, c’est de la pédagogie, je mourrai dans tes bras.» En effet, et ce fut un départ prématuré, quelques semaines après avoir quitté contre son gré la direction du Conservatoire de Marseille qu’il avait sorti de la torpeur, touché par cet « âge de la retraite », qui embarrasse tant, et plus que jamais, notre société. 


barbizetTel était Pierre Barbizet, qui disait les choses sans détour, mais sans malice, de cette voix rocailleuse dont se souviennent tous ceux qui l’ont connu. Le pianiste ne fit pas une carrière fulgurante, mais d’une extrême qualité. Pas de marathon avec les trente-deux sonates de Beethoven ou l’intégrale Chopin, mais des choix judicieux, et si l’avant-garde n’était pas sa tasse de thé, il accepta néanmoins mon invitation à siéger au jury du Concours Olivier Messiaen, à Royan, en mars 1970. Une bonne dizaine d’années auparavant, j’avais découvert son nom en écrivant un livre sur Prokofiev ; il venait d’enregistrer la Neuvième Sonate pour piano, auquel aucun pianiste français ne s’était encore intéressé. Je consulte mon vinyle, il ne porte pas de date et, comme la plupart des disques que Barbizet a signés, il n’a pas été reporté en CD… A l’exception, naturellement, de la somme discographique gravée par le duo Barbizet-Ferras.

Car, l’une des grandes aventures de la vie de Pierre Barbizet, ce fut la collaboration avec Christian Ferras, entreprise au début des années cinquante, interrompue quelque trente ans plus tard, à la mort tragique du violoniste. L’histoire d’une telle équipe est mystérieuse : homme de culture et d’autorité, Barbizet menait la barque ; Ferras, soliste magnifique, se nourrissait de cette sollicitude. Mais comme le rapporte Caline Barbizet, ils n’avaient pas grand chose, sinon l’exécution musicale, à partager, et comme je l’ai constaté moi-même, à l’occasion d’un de leurs concerts pour les J.M.F. que j’avais présenté au Théâtre de Clermont-Ferrand, il s se sont toujours vouvoyés ; une miraculeuse complicité musicale, sans autre écho. Mais l’intégrale des Sonates pour violon et piano de Beethoven (Grand Prix du disque en 1960) doit toujours être sur le marché.

Enfin, Barbizet fut aussi un formidable pédagogue ; né par hasard au Chili, il était marseillais d’adoption, complètement marseillais néanmoins, et ce fut, il faut le dire, une magnifique chance pour Gaston Deferre de pouvoir confier son très modeste Conservatoire à une personnalité aussi dynamique, chaleureuse, compétente qui, traversant de nombreuses bourrasques et rudoyant habilement les politiques, métamorphosa l’établissement. Je rêve à ce que Barbizet, à la même époque, aurait pu insuffler au Conservatoire de Paris. Une âme !


Le terrorisme intellectuel

J’ai souvent croisé Jean-François Kahn, sans doute pas dans une salle de concert - ni à l’Opéra-Comique pour une représentation de Mignon, qui lui donne aujourd’hui l’occasion de prononcer un brillant plaidoyer dans Le Monde daté du 11 avril en faveur de son auteur, Ambroise Thomas.

Ainsi, cher Jean-François, tu considères que « le retour de Mignon (la semaine dernière, Salle Favart) est un signe fort.» Fort, en quel sens ? Parce que ton cher Amboise a osé trafiquer Goethe, avant de torturer Shakespeare ? Parce qu’il fut, en son temps, un compositeur populaire, parce qu’il représente, face à Berlioz, à Wagner et quelques autres, le comble du conservatisme ? 

Je ne veux pas gâcher ton plaisir, mais pourquoi saisir l’occasion d’un panégyrique d’Ambroise Thomas pour fustiger, une nouvelle fois, le «  terrorisme intellectuel » et le « masochisme antinational » du milieu musical français. Tiens, Debussy, que tu ne mentionnes pas, n’est-il pas une réponse  adéquate ? Et puis, tu te crois obligé de citer Boulez, pas « lui-même », dis-tu, Boulez étant aujourd’hui dans le rôle du Commandeur, mais « tous ces censeurs qui l’entourent.» Mais, cher Jean-François, le temps a passé depuis ces lointaines années où, effectivement, la tolérance n’était pas la vertu première de l’avant-garde. 

J’aurais aimé te rencontrer jeudi dernier à la Cité de la Musique, pour la magistrale exécution de Répons dirigée par Susanna Mälkki, à la tête de l’Ensemble Intercontemporain. Si tu étais venu entendre ce pur chef-d’œuvre de Boulez, tu aurais peut-être changé d’avis, et aurais pu me convaincre d’assister à une représentation de Mignon. Pas de sectarisme, certes !


Des vagues coruscantes

Plongé (épisodiquement) dans la lecture de la Correspondance d’André Gide avec Paul Valéry, récemment publiée aux Cahiers de la nrf. Il y est peu question de musique, sinon parfois, de Debussy ou de Beethoven, de Mozart et de Chopin, très rarement.

Le jeune Valéry écrit au jeune Gide en juillet 1891 : « Je suis frénétique : une telle brise de mer souffle que ma chevelure en est mouillée et je hume dans l’air la mer. Si vous saviez comme elle me pénètre et quel amour c’est ! Elle me transporte et me ferait hurler des folies : c’est un triomphe d’indomptable gueuse, trompettée au large par les vents vastes qui bondissent et se roulent et vagabondent sur les vagues ! J’ai le cerveau plein de ces vents et de ces coruscantes vagues qui hennissent ; contre l’écume furieusement jetée, le vaisseau noir s’effare »....

Voilà comment des jeunes gens s’exprimaient, dans l’intimité, il y a cent vingt ans…


Photo de Pierre Barbizet © Michel Laporte
Consultez la chronique de Claude Samuel dans la revue 
Diapason d'a
vril « Ce jour-là : 30 mars 1973 ».

 

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