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Le regard de Claude Samuel
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Le regard de Claude Samuel
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8 mars 2010

L’aventurier provençal

A l’époque où tout est fabriqué par des multinationales, où tout s’achète, livres et disques compris, dans les grandes surfaces et par internet, Bernard Coutaz, qui vient de tirer sa révérence à l’âge de quatre-vingt huit ans, était un franc-tireur. Producteur de disques en 1958, et créateur de la marque Harmonia Mundi, il commença par snober Paris, en s’exilant dans un petit village provençal. Ses amis lui prédisaient un avenir radieux (c’était l’âge d’or du microsillon), à condition qu’il rejoigne sans trop tarder la capitale. Et, en effet, il quitta ses Alpes de Haute-Provence, mais simplement pour traverser le Rhône et s’installer avec armes et bagages à proximité de la bonne ville d’Arles. C’est là qu’il résista pendant un demi-siècle au business international.

D’abord, les bons choix : Alfred Deller, qui signa pour Harmonia Mundi quelques enregistrements somptueux puis, surfant sur la vague naissante des baroqueux, le claveciniste Kenneth Gilbert, le contre-ténor René Jacobs, Philippe Herreweghe et sa Chapelle royale et, avant qu’il ne devienne, mais sous un autre label, un héros national, William Christie – récemment membre de l’Institut, bravo Bill ! D’autres choix, non moins périlleux en ce temps-là : Boulez, Berio et quelques autres représentants de l’avant-garde européenne, toujours bien choisis.

Les années passèrent, le marché du disque s’essouffla, mais Bernard Coutaz, au lieu de rechercher, comme d’autres, la « major » compagnie susceptible de signer un gros chèque avant de l’engloutir, prit d’autres risques. Il mit sur pied un réseau international de distribution, et c’est grâce à cette nouvelle force de frappe, qu’il m’aida notamment à sauver la collection Ocora (musiques traditionnelles) de Radio France. Mieux encore : il ressuscita le commerce de proximité en ouvrant des boutiques, là où la Fnac n’avait pas asséché le marché. Des boutiques réservées à sa propre production et aux produits qu’il distribuait – hors best-sellers reconnus. « Oui, me dit-il un jour, chez moi, on ne peut pas acheter les Symphonies de Beethoven ! » On ne trouva pas non plus les enregistrements des trois ténors mais, réponse ironique à cette juteuse promotion, le « disque des trois contre-ténors ». Il disait aussi : « Chaque chose a son prix » et, tout en bataillant ferme contre la TVA à 19,6%, il refusait de casser les prix ; quand nous organisâmes à France Musique des « Concerts dans la rue » gratuits à l’occasion du Festival d’Aix-en-Provence, il fut très fâché. Vaste problème , en effet…

Enfin, à propos de l’étonnante réussite de Bernard Coutaz, je ne peux m’empêcher de penser à ses voisins d’Actes Sud – réussite, là aussi, d’un homme hors normes, Hubert Nyssen, grand éditeur et formidable mélomane, comme j’eus l’occasion de le constater lorsqu’à ma demande il accepta d’animer sur France Musique une émission hebdomadaire. La parole était judicieuse, chaleureuse, élégante. Les auditeurs plébiscitèrent. Décidément, l’air de la Provence inspire !

lemarquisUn cerveau musicien
Le titre intrigue : Sérénade pour un cerveau musicien (Ed. Odile Jacob) Quant à son auteur, Pierre Lemarquis, il est neurologue, neurologue-mélomane . Il nous apprend que tout est inscrit dans notre anatomie cérébrale et, par exemple, que les lobes temporaux étudiés sur les os du crâne supposé de Jean-Sébastien Bach étaient particulièrement volumineux. Il nous donne les raisons scientifiques de ce fait  souvent constaté : la fréquence des non-voyants parmi les accordeurs de piano. Il nous parle également de l’« oreille absolue » des bébés, et s’étend longuement sur le mystère des chants d’oiseaux. J’imagine, dans un autre monde, un curieux dialogue entre Pierre Lemarquis et Olivier Messiaen... Bref, un ouvrage qui donne sa pleine mesure à l’expression « la bosse de la musique ».

Le livre de Pierre Lemarquis aurait tout de même mérité une meilleure relecture. A propos  d’un « trou de mémoire » dont aurait été victime le jeune Karajan en dirigeant Wagner devant Hitler, on lit que la famille a puni le maestro, lequel dut attendre 1951 pour diriger à Bayreuth. Il ne fut pas le seul puisque le Festspielhaus, fermé après la guerre, ne fut précisément ré-ouvert qu’en 1951 !

La Sérénade pour un cerveau musicien est l’un des quelque quatre-vingts livres consacrés à la musique que le jury du Prix des Muses 2010 a retenus et doit départager... aujourd’hui même. Les résultats seront rendus publics le mardi 16 mars à midi, dans l’auditorium du Musée d’Orsay, proclamation à laquelle vous êtes cordialement invités.   

0002Un naufrage
Savez-vous que la Marine Nationale possède trois formations musicales ? Le Bagad de Lann-Bihoué, la Musique des Equipages de la flotte de Toulon, prochainement rebaptisée « Grande Musique nationale de la Marine », et la Musique des Equipages de la Flotte de Brest appelée à sombrer avec ses soixante-dix musiciens en 2013. La crise, la crise… (confidence : mon grand-père était le tambour-major de son régiment, comme l’atteste des photos que je conserve précieusement, et très fier de l’être. Il disait : « Dans les défilés, je marche en tête»… ).

Consultez la chronique de Claude Samuel dans la revue Diapason de mars

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Commentaires
C
"J’imagine, dans un autre monde, un curieux dialogue entre Pierre Lemarquis et Olivier Messiaen..." dit M. Claude Samuel.<br /> <br /> Oui certainement, cette conversation d'un neurologue mélomane avec un compositeur synesthète, pourrait ouvrir un étrange chemin dans le domaine moderne dit de la "psychologie de la perception". J'en serais curieuse moi aussi.<br /> Par exemple les synesthésies (dit Jean-Michel Hupé) sont souvent à la croisée de la recherche scientifique et de la création artistique.<br /> <br /> Mais à défaut de cet échange le web offre des rencontres intéressantes , dans le site <br /> http://theatreartproject.com<br /> quelque chose de l'écho de cette conversation me paraît résonner. Je donne les liens pour les visiteurs que ce sujet intéresse - avec (M. Claude Samuel oblige) cette priorité au lien synesthétique et musical<br /> <br /> Musique (Olivier Messiaen) Peinture (Fernando Gualtieri) Poésie (Louis Latourre) réunis ici :<br /> http://theatreartproject.com/soncouleur.html<br /> <br /> (j'ai été initiée à l'oeuvre d'Olivier Messiaen par les Entretiens de 1988) <br /> <br /> Musique et poésie :<br /> http://theatreartproject.com/theatre.html<br /> <br /> Poésie et sciences du langage :<br /> http://theatreartproject.com/langage.html
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